Entretien avec Danny Wu, le réalisateur de American: An Odyssey to 1947, sur Orson Welles et la vie politique et culturelle aux États-Unis dans les années 1930 et 1940

American: An Odyssey to 1947 est un documentaire précieux et intriguant écrit et réalisé par le cinéaste sino-canadien Danny Wu. Le film se concentre sur l’évolution artistique et politique du réalisateur américain Orson Welles (1915-1985) dans le contexte de la Grande Dépression, de l’administration Roosevelt et de son New Deal, de la Deuxième Guerre mondiale et des purges anticommunistes de l’après-guerre.

Welles est surtout connu pour Citizen Kane (1941), La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons – 1942), Le Criminel (The Stranger – 1946), La Dame de Shanghai (The Lady from Shanghai – 1947), Macbeth (1948), Othello (1951), Dossier secret (Mr. Arkadin – 1955), La Soif du mal (Touch of Evil – 1958), Le Procès (The Trial – 1962) et Falstaff(Chimes at Midnight – 1966), ainsi que pour de nombreuses œuvres cinématographiques inachevées et ses productions théâtrales et radiophoniques.

Orson Welles sur le plateau de The Magnificent Ambersons (1942)

Le documentaire de Danny Wu commence et se termine avec le départ de Welles des États-Unis en 1947, alors qu’il est essentiellement chassé du pays par les efforts combinés du FBI, des chasseurs de sorcières du Congrès et de l’empire médiatique de William Randolph Hearst.

En outre, Wu consacre beaucoup de temps dans son film à traiter de la rafle et de l’internement des citoyens japonais par le gouvernement américain pendant la Deuxième Guerre mondiale, au largage de bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki et au vétéran afro-américain Isaac Woodard rendu aveugle par un shérif sudiste raciste en 1946.

Wu utilise des graphiques et des animations remarquables (créés par le directeur artistique du film, Yifu Kang), ainsi que des films et des séquences d’actualités, et des entretiens avec un certain nombre d’historiens et de commentateurs, dans le but de recréer l’atmosphère et les conditions de l’époque.

Le film est fortement rehaussé par la présence d’Howard Kakita, dont les parents ont été internés aux États-Unis et qui a miraculeusement survécu à la destruction d’Hiroshima en août 1945; de Satsuki Ina, née dans l’un des camps d’internement et dont la mère a été photographiée sur une image emblématique par la photographe Dorothea Lange; de Laura Williams, petite nièce d’Isaac Woodard; et de Robert Young, neveu d’Isaac Woodard. L’historien du cinéma James Naremore et l’écrivain Todd Tarbox, petit-fils de Roger Hill, le mentor de Welles, les biographes Harlan Lebo et Simon Callow et le critique Richard France ajoutent leurs points de vue dans le film.

Le film American: An Odyssey to 1947 a certes une valeur en soi, mais il est également important en tant qu’indicateur des changements culturels et générationnels. Wu est né en Chine en 1996, deuxième d’une famille de deux enfants, ce qui, comme il l’a expliqué lors d’une récente conversation vidéo, était «très rare» à l’époque, «en raison de la politique de l’enfant unique en Chine. Mes parents ont dû faire des pieds et des mains pour que je vienne au monde».

Entretien avec Danny Wu le realisateur de American An Odyssey
Scène d’animation extraite du film American: An Odyssey to 1947

La famille Wu a émigré au Canada lorsqu’il avait sept ans. Il est devenu «très bon au basket-ball», mais une blessure au genou a mis fin à ses «rêves de devenir un joueur de basket-ball professionnel… Je suis allé à l’université et, au début, j’ai fait des études commerciales, mais cela ne m’intéressait pas du tout».

Wu voulait en savoir plus sur les arts et le cinéma. «Je travaillais aussi comme magicien, et j’étais doué pour cela. Finalement, il a réalisé un documentaire pour défendre Michael Jackson, «qui a eu du succès». Wu est devenu un lecteur du WSWS, «par intermittence depuis 2019» à la suite d’un article que nous avions écrit sur Jackson à l’époque. L’article «a fait de moi un fan de votre site web», a-t-il déclaré.

Lorsque la pandémie de la COVID-19 a éclaté, Wu était en visite en Chine et s’est retrouvé dans l’impossibilité de quitter le pays en raison du confinement général. «Je me suis dit que si je devais me lancer dans cette aventure cinématographique, j’étais bien loin du compte. Quand j’étais joueur de basket-ball, on m’a dit d’étudier les grands. J’ai senti que je devais faire la même chose avec le cinéma». Il rajoute donc: «J’ai commencé à regarder tous les films que je pouvais trouver figurant sur les listes des plus grands films. Un film auquel je revenais sans cesse était Citizen Kane d’Orson Welles. J’ai aussi appris ce que Welles a vécu, toutes les difficultés qu’il a rencontrées. C’est l’une des raisons pour lesquelles il m’a attiré au départ».

Voilà qui est encourageant! Une jeune personne, sans connaissances approfondies de l’histoire du cinéma, gravite autour de l’un des films les plus importants jamais réalisés. Y a-t-il quelque chose dans l’état actuel du monde, ses tensions et contradictions explosives, qui a attiré le réalisateur vers Citizen Kane? On peut le penser.

Wu traite la vie de Welles avec un regard neuf, car la vie et les conditions de l’époque sont nouvelles ou relativement nouvelles pour lui. Comme nous l’apprenons, Welles, l’«enfant exceptionnel» né en 1915 dans le Wisconsin, décide dès l’âge de 15 ans de devenir acteur. À 16 ans, il fait ses débuts sur scène au Gate Theatre de Dublin. De retour aux États-Unis, aidé par le dramaturge Thornton Wilder, Welles participe à la tournée nationale 1933-1934 de l’actrice Katherine Cornell dans une production de Roméo et Juliette. Il attire l’attention du producteur John Houseman, qui l’engage pour diriger une production de Macbeth de Shakespeare à Harlem (sa première mise en scène professionnelle) dans le cadre du Federal Theatre Project et de sa Negro Theatre Unit. Welles a alors 20 ans.

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Danny Wu [Photo: ©️ Odisseas Kaskaridis]

En 1938, son adaptation à Broadway de Jules César de Shakespeare, une version moderne avec des références directes à l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste (avec Welles dans le rôle de Brutus) et la première production du Mercury Theatre, est un énorme succès. Hollywood, comme le note un commentateur du film de Wu, «commença à prêter attention».

Wu intercale des sections du film consacrées à la vie de Welles avec des segments sur les événements politiques d’alors. Les historiens Gray Brechin et Mark Stoler, en particulier, s’expriment sur la dépression, l’élection de Roosevelt et l’hostilité croissante du magnat des médias Hearst à l’égard du réformisme du New Deal. Hearst s’insurge contre «l’ingérence» du gouvernement dans l’économie et prévient qu’un impôt progressif sur le revenu «aggravera les distinctions de classe». Soutien de la première heure de Roosevelt, Hearst se plaint toutefois en 1936 que les politiques de ce dernier sont «communistes».

La production de Citizen Kane et la réaction à la sortie du film inspiré par la figure du multimillionnaire Hearst, occupent une place importante dans le documentaire de Wu. Ce film est le premier de Welles, réalisé à l’âge de 25 ans. Il débarque à Hollywood en 1939 avec ses propres termes, suscitant la colère des directeurs de studio, des producteurs et autres gens. Des rumeurs sur le sujet de Citizen Kane circulent et parviennent aux oreilles de proches de Hearst.

Citizen Kane suit la vie d’un magnat de la presse, Charles Foster Kane (Welles), qui a des ambitions politiques et qui finit par s’aliéner tous les membres de sa famille et par s’entourer de biens matériels plutôt que de personnes.

Au cours de notre conversation, j’ai demandé à Wu pourquoi il est si frappé par l’œuvre de Welles. Il a souligné «de nombreux aspects du film». «Le mouvement de la caméra, la profondeur de champ», a-t-il commencé. «La scène où le jeune Charles Foster Kane joue dans la neige et où la caméra commence à reculer – j’étais époustouflé par la beauté de ce plan. Et puis il y a toute cette critique sociale en sous-texte». Dans l’ensemble, Citizen Kane «m’a semblé beaucoup plus profond que tous les autres films que j’ai regardés à la même époque».

Et puis, ajoute Wu, «il y a le fait qu’Orson lui-même soit dans le film. Il a une voix si puissante et, malgré tout, il rend le personnage de Kane si sympathique, même si, à première vue, il n’a rien de sympathique».

Il est intéressant de noter que le jeune réalisateur a été «surpris d’apprendre que William Randolph Hearst avait été offensé par le film. Lors de nos voyages en famille, nous avions visité Hearst Castle en Californie, et je savais donc déjà qui il était. J’ai tout simplement commencé à être obsédé par cette histoire».

Wu a détaillé le processus remarquable qui l’a amené à créer American: An Odyssey to 1947: «Je voulais faire une petite vidéo sur YouTube pour essayer d’expliquer à ma génération l’histoire d’Orson Welles et l’attaque de Hearst contre Citizen Kane, car être chassé du pays, comme Welles l’a été en 1947, est une grande histoire qui doit être racontée, surtout aujourd’hui. J’ai senti que c’était une histoire qui toucherait une corde sensible».

Wu a regardé un documentaire intitulé The Battle Over Citizen Kane, que nous avons analysé et critiqué sur le WSWS, un film qui l’a déplu. «Le film présente Orson et le millionnaire Hearst comme des équivalents, comme s’il s’agissait d’une figure puissante contre une autre», un point que nous avions également soulevé dans notre critique. Wu enchaîne: «Je voulais faire un documentaire pour montrer la différence de pouvoir entre Hearst et Orson Welles. L’un des livres que j’ai lus était Citizen Kane: A Filmmaker’s Journey de Harlan Lebo. J’ai envoyé un courriel à Lebo et il a accepté que je le passe en entrevue. Lebo m’a alors dit qu’il y avait encore beaucoup à apprendre sur Orson Welles». Par la suite, «je me suis procuré tous les livres possibles et je les ai tous lus. Richard France est l’une des autres personnes que j’ai interviewées à New York. Il m’a mis sur la piste de l’histoire d’Isaac Woodard. Je voulais savoir si Woodard avait des parents encore en vie. Et c’est ce qu’il a fait. Je l’ai trouvée [Laura Williams] et elle a accepté de participer au documentaire. C’est comme ça que ça s’est construit».

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Citizen Kane (Dorothy Comingore, Welles et Ray Collins)

Pourquoi les artistes et d’autres personnes reviennent-ils toujours à Welles et à l’époque dans laquelle il travaillait?

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Entretien avec Danny Wu, le réalisateur de American: An Odyssey to 1947, sur Orson Welles et la vie politique et culturelle aux États-Unis dans les années 1930 et 1940